Working Paper

Évaluation des besoins du Québec en matière d’infrastructure de recharge

(English version here.)

Le Québec mène le bal de la transition vers les véhicules électriques au Canada : la province compte plus de 45 % des véhicules électriques du pays, alors qu’elle possède seulement 23 % du parc automobile canadien. La province a passé le cap des 100 000 véhicules électriques sur ses routes en avril 2021. Dans le cadre du Plan pour une économie verte 2030, publié en 2020, le Québec s’est fixé comme objectif d’avoir 1,5 million de véhicules légers électriques sur ses routes en 2030, ce qui représenterait environ 30 % de son parc de véhicules légers. Pour atteindre cette cible, le Québec a mis en œuvre de nombreuses mesures pour stimuler l’adoption des véhicules électriques, notamment des incitatifs financiers, l’établissement d’un programme encourageant le déploiement de l’infrastructure de recharge, la mise en place d’initiatives de sensibilisation des consommateurs à l’égard des véhicules électriques et un objectif gouvernemental visant à cesser la vente de voitures de tourisme et de véhicules utilitaires légers neufs alimentés aux combustibles fossiles d’ici 2035. Le gouvernement du Canada exigera également que la totalité des voitures et camions légers à passagers vendus soit des véhicules zéro émission d’ici 2035, ce qui accélérera la transition qui était antérieurement prévue pour 2040. La transformation du Québec vers l’électrification des transports s’inscrit dans une stratégie élargie qui vise à promouvoir la lutte contre les changements climatiques et les économies d’énergie en augmentant l’utilisation de l’énergie propre à l’échelle de la province; il est à noter que plus de 99,7 % de l’électricité au Québec provient de sources renouvelables.

En vue d’atteindre ses objectifs ambitieux en matière d’électrification des transports, la province devra élargir de façon importante son réseau de bornes de recharge privées et publiques. Jusqu’à la fin de 2021, la majeure partie du réseau de recharge public avait été déployée par la société d’État Hydro-Québec. En 2018, le gouvernement du Québec a adopté la Loi 184 qui vise à favoriser l’établissement d’un service public de recharge rapide pour véhicules électriques. En vertu de la Loi, Hydro-Québec a été mandatée d’en assurer le déploiement.

La présente étude vise à évaluer les besoins en matière d’infrastructure de recharge pour les véhicules électriques dans les 17 régions administratives du Québec d’ici 2035 afin de soutenir l’essor futur des véhicules électriques. Il s’agit de la première analyse qui estime les besoins de recharge et d’énergie pour six types de recharge (bornes de recharge privées à domicile, au dépôt, sur le lieu de travail, normale CA publiques, rapide urbaines, rapide de transit) pour tous les véhicules légers (voitures de tourisme privées, véhicules utilitaires légers et taxis) dans la province. Ces résultats sont présentés à l’échelle régionale, avec un accent particulier sur Montréal, ce qui contribue à faire progresser les politiques ciblées visant à répondre aux besoins de recharge publique. La figure ci-dessous présente le nombre de bornes de recharge normale (gauche, en bleu) et rapide (droite, en vert) publiques nécessaires dans les régions du Québec d’ici 2030.

Figure. Estimation du nombre de bornes de recharge normale publiques (gauche, bleu) et rapide publiques (droite, vert) par région administrative pour 2030

Sur la base de l’analyse, nous tirons les conclusions suivantes :

Le Québec aura besoin de déployer huit fois plus de bornes de recharge publiques en 2030 par rapport à la quantité de bornes déjà en place en 2020. À mesure que le parc de véhicules électriques passe de 92 000 véhicules électriques en 2020 à plus de 1,5 million en 2030 sur les routes du Québec, le nombre de bornes de recharge publiques devra passer d’environ 5 700 à 45 800 bornes de recharge normale et de 700 à 6 300 bornes de recharge rapide. Ce nombre de bornes de recharge rapide excède le nombre prévu dans le mandat du gouvernement du Québec visant l’installation de 2 500 bornes par Hydro-Québec d’ici 2030, ce qui suggère que d’autres parties prenantes, y compris le secteur privé, devront également contribuer à l’élargissement du réseau de recharge. L’atteinte de cet objectif pour les bornes publiques représente un taux de croissance annuelle de 23 % de 2020 à 2030. En outre, l’ajout de 1,1 million de bornes de recharge privées à domicile, de 23 700 bornes privées sur le lieu de travail et de 18 900 bornes au dépôt sera nécessaire d’ici 2030. La ville de Montréal représente une situation unique au Québec puisque plus de 80 % des foyers se trouvent dans des immeubles à logements multiples dans la ville dense et qu’on s’attend à ce que seulement 38 % des propriétaires de VÉ aient accès à une borne de recharge privée à domicile en 2030. Par conséquent, les bornes de recharge en bordure de rue et les bornes de recharge rapide urbaines publiques seront d’une importance cruciale.

La croissance de la demande énergétique pour les véhicules électriques au fil du temps peut être bénéfique si elle est gérée de façon appropriée. L’électrification des transports offre au Québec une occasion de réduire considérablement ses importations de carburant et de créer des avantages économiques en tirant parti de sa grande production d’hydroélectricité. La demande énergétique annuelle pour répondre aux besoins de recharge des véhicules électriques passera de 340 gigawattheures (GWh) en 2020 à 5,8 térawattheures (TWh) en 2030. La demande en électricité pour les VÉ projetée pour 2030 représente environ 2,7 % des 212 TWh d’hydroélectricité produits par le Québec en 2019, ce qui indique que les véhicules électriques ne poseront pas problème en ce qui concerne la production d’électricité et l’infrastructure de distribution de la province. Toutefois, les besoins de recharge pourraient nécessiter des mises à niveau localisées au sein de l’infrastructure de distribution pour les zones où l’adoption des VÉ connaîtra un fort essor. Ce sera particulièrement le cas de Montréal, où l’on prévoit une consommation électrique de 570 GWh pour les VÉ en 2030. Cette part disproportionnée d’énergie à Montréal découle du contexte commercial (y compris la recharge rapide) et de la forte présence d’immeubles à logements multiples, tandis que dans la plupart des autres régions de la province, cette demande énergétique croissante sera principalement dans des zones résidentielles comportant principalement des maisons unifamiliales.

Ce sont les zones les plus urbaines et les plus rurales qui nécessiteront l’augmentation la plus importante du nombre de bornes de recharge publiques, mais les besoins locaux varieront, et la recharge rapide en courant continu (CC) jouera un rôle clé dans l’accès à l’électromobilité en milieu urbain. Les régions présentant la part la moins élevée de l’infrastructure de recharge publique requise en 2030 déjà en place en 2020 sont les régions rurales du Nord-du-Québec, de l’Outaouais et du Saguenay–Lac-Saint-Jean ainsi que la subdivision hautement urbanisée de Laval. Ces quatre régions disposaient en 2020 de moins de 10 % des bornes de recharge publiques qui seront nécessaires en 2030, un pourcentage en deçà de la moyenne provinciale. Toutefois, les schémas d’établissement de la population à l’échelle de la province font en sorte que les habitudes de recharge varieront selon les régions : en 2030, 79 % de la recharge dans le Nord-du-Québec se fera dans un contexte privé, comparativement à une moyenne provinciale de 74 %, et à seulement 49 % dans la ville de Montréal. Les bornes de recharge rapide urbaines joueront un rôle particulièrement important pour l’accès à l’électromobilité dans les villes. Bien qu’en 2020 l’infrastructure de recharge du Québec répondait à 11 % des besoins de recharge rapide prévus pour 2030, cette part se chiffre à seulement 5 % pour la ville de Montréal.

Une approche coordonnée du déploiement de l’infrastructure de recharge pourrait encourager les investissements. La réussite du déploiement de l’infrastructure de recharge repose sur une coordination efficace entre les nombreuses parties prenantes des secteurs public et privé et une solide orientation de la part du gouvernement provincial. Les gouvernements peuvent tenter d’encourager les investissements en établissant des objectifs de déploiement concernant le nombre de bornes de recharge ou une puissance de recharge publique totale (en kW) en fonction des régions. Toute stratégie de déploiement des bornes de recharge devrait évaluer la demande en fonction des demandes et des suggestions des conducteurs, tout en assurant un accès équitable à l’infrastructure en procédant à des appels d’offres en lots. Il s’agit ici d’associer, dans le cadre du processus d’appel d’offres, les engagements du prestataire à fournir des bornes de recharge dans des emplacements à utilisation faible et dans des emplacements à utilisation élevée. Le gouvernement pourrait aussi potentiellement offrir des subventions visant les bornes de recharge installées dans des zones à faible demande dans les premières phases de développement du marché. Une telle stratégie pourrait encourager le secteur privé à prendre part au projet.